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Docteur Barjhoux : « Une belle vie »

J’avais une Renault 4L jaune, jaune tilleul.

J’adorais cette auto avec son ronflement caractéristique et calme, on pouvait tout mettre dedans, des plantes vertes aux skis ; la banquette arrière était certes un peu inconfortable… mais c’était chouette. Et ça passait partout, même sur le pont de Trellin ! Il ne fallait pas dépasser le 40 au risque de lever des madriers, on ne pouvait pas se croiser. Par vent du sud on se prenait même pour Harrisson Ford — Je te jure Lisbeth, j’ai vu un croco sur les berges de l’Isère ! C’était le 24 février 1986. Un lundi pluvieux. Au carrefour des Trois Rois, je demandais mon chemin pour aller au Cabinet du Docteur Hery. Ah c’est vous le remplaçant ? m’a-t-on tout de suite identifié…

Et oui, fraichement sorti de 12 mois au 6ème BCA de Varces à faire le travail du Lieutenant- Colonel Médecin, je consultais sans relever la tête du matin au soir, alors qu’il lisait Astérix sur les marches de l’infirmerie… Je fus accueilli et hébergé chaleureusement par cette famille de cinq enfants endeuillés par la mort de leur médecin de père. Brutalement immergé en pays Vinois, et novice, j’avoue m’être retourné plusieurs fois quand on me donnait du « Docteur ».

Vinay ne s’était pas encore fait une beauté, on longeait les grilles de l’Hôpital Brun Faulquier, bien vétuste, avant d’arriver en « ville » avec son unique feu rouge et ses treize débits de boissons (je les avais comptés, moi qui ne buvait que du coca-cola parait-il, aux dires de mes copains. . . !?).

Ecoutez, soigner, prescrire, j’en ai vu des familles, des fermes, des paysages. J’étais dans beaucoup de secrets de tous ordres et de toutes saveurs. Des histoires banales, tristes à mourir ou drôles voire hilarantes. Mais toujours dans la confiance et la sympathie.

Témoin de votre affection, j’ai reçu beaucoup de présents :

Des noix, vins, huiles, gâteaux, calissons aux noix, du Saint Marcellin , du Porto blanc, rouge, du chocolat, du sanglier, lapin, volaille, œufs, du pâté de tête de sanglier, du raisin, des pommes, figues, dattes, confitures, pâtes de coings, bonbons, des livres, un balai laqué noir aux poils vert fluo (pas propre mon Cabinet… ?) et même une petite culotte (oubli ou cadeau … ?).

Jamais je n’ai eu de lettre d’insultes ou de déclaration d’amour : ouf ! Ni de coup de poing, mais un ou deux coups de pied et une morsure de chien. Enfin un vomi directement dans la poche de ma belle veste bleu rayée rouge et vert…

Il y a eu le Covid, pandémie impressionnante qui nous a tous affecté : qui n’a pas eu dans son entourage une disparition malheureuse ? Mais ce virus a eu un effet positif du moins à Vinay. Il nous a permis, nous professionnels de santé (pharmaciens, infirmières, aides-soignantes orthophonistes, kinésithérapeutes et médecins) de nous regrouper en ESP « Equipe de Soins Primaires ».

L’information circule maintenant fluide et pertinente, nous permettant de mieux nous organiser et pouvoir innover…

Mon grand regret, ne pas avoir trouvé de successeur : problème directement lié à une politique de santé catastrophique menée depuis trente ans, quel que soit la couleur des gouvernements successifs. Cet article, à l’heure où je dévisse ma plaque, pour vous remercier de toutes les valeurs humaines que vous m’avez confiées. Je peux vous dire que beaucoup m’ont ému et certaines perturbé mes nuits. Elles étaient d’une grande richesse que je ne peux dévoiler ici, serment d’Hippocrate oblige. Je pensais aussi être un grand maladroit, spécialiste des certificats bleus (décès) mais non finalement en regardant les statistiques, ouf… ! Drames de la vie mais aussi surtout beaucoup de joies et d’œil brillant de malice, tout y sera passé : bébé, enfant, ado, adulte, vieillard, homme, femme et même quelques animaux … !

Le cabinet, les visites à domicile, l’EHPAD de Vinay, de Notre Dame de l’Osier, le Perron, les Pompiers… Il aura fallu beaucoup d’écoute, de patience et parfois de sang-froid. Je n’ai pas été toujours performant, l’erreur est humaine mais… toujours empreint de scrupules je vous l’assure.

Alors cette nouvelle vie qui se dessine devant moi sera enrichie de ces longues années que nous avons partagé ensemble.

Pour votre confiance quotidiennement renouvelée, MERCI. Docteur Denis BARJHOUX

Ah j’oubliais. Merci aussi à tous les sportifs, rugbymen, et footeux, bricoleurs du dimanche, maladroits aux deux mains gauches ou distraits, amoureux ou mal-voyants. Vos doigts ensanglantés, pieds martyrisés, fesses mordues ou lèvres fendues, m’ont ravi. J’ai toujours adoré mettre des points de suture ! Imaginez : le geste salvateur de la Xylocaïne injectée qui soulage et rassure : Génial ! Et le bruit discret mais élégant du porte-aiguille que l’on clipse : un régal !…Vous auriez pu faire un peu plus quand même …

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